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BOTTARI “trajectoire”par la chorégraphe-danseuse

Dernière mise à jour : 14 nov. 2021

BOTTARI “trajectoire”par la chorégraphe-danseuse KIM SUN-YOUNG

Par Alain a,

(sur la base d'une étude de K. Yung)

Une geste radicale à la recherche de la dynamique interne de ce qui devient “trajectoire”

réinterprétation 3D d'un art oriental

Festival de Danse Internationale S.O.U.M

QU'EST-CE QU'UNE ŒUVRE D'ART ?

De quoi ressort l'actualisation chorégraphique ultra-contemporaine d'un art oriental très ancien ? Dans Bottari, une sensualité retenue et une curiosité philosophique proprement coréennes, traversant tous les cadres, met en mouvement ce qui de toujours fut inscription graphique, belle écriture (l'étymologie exacte du mot calli/graphie) et fixation picturale. À tout le moins un artefact intellectuel intéressant.

Par la chorégraphie, la scénographie choisie et le profond sens de l'Histoire de sa créatrice, la danseuse Kim Sun-Young, l’art oriental si traditionnel qu'est la calligraphie entre en communication avec des spectateurs du XXIe siècle partout dans le monde, au-delà des frontières géographiques, politiques, et culturelles.


Cela commence comme un film en encre & blanc, si imprégné de lenteur et monochromie que c'est par une sorte d'imagination illusoire qu'on croira y discerner çà et là quelque couleur… jusqu'à ce que peu à peu, pas à pas, une certaine couleur justement, mais désaturée, se lève, çà et là à la joue, au front, au visage, de l'héroïne (car elles et ils sont héroïnes et héros celles et ceux qui laissent leur trace, n'est-ce pas ?), pareille à la pulsation d'une émotion à fleur de peau, et du sang dans nos cœurs, et de nos vies sous la neige.

Car insensiblement, ce que conte Bottari est ce qui s'inscrit à mesure, et profondément, et discrètement, dans nos chairs. Cette théâtralisation effleurée propose une interprétation de la spiritualité même du pays du matin calme où jamais ce qui nous lie aux origines ne se rompt de couleurs par trop d'élan trop vives.


Et de même que le premier cinéma fut de noir et de blanc tissé, de même qu'il fut d'abord muet, ce que trace la geste d'encre de celle qui se prénomme Sun-Young est une calligraphie sans mots, sans poème ni discours — ou alors discours des actes et poème qui bat : l'exemple canonique d'un premier expressionnisme coréen ? un silence moderne. Mais sur quoi ?

Que nous disent de l'art, que nous disent de la vie, ces œuvres qui empruntent à plusieurs arts, qui parlent à plusieurs sens, qui conjuguent le temps long à l'éphémère, et se manifestent premièrement en tant que trajectoires ?


La chorépgrphe-danseuse

KIM SUN-YOUNG



Ici, la performance théâtrale/corporelle/chorégraphique de 26 minutes et 34 secondes offerte par l’artiste n'entretient a priori aucun rapport ni avec cet art des images accrochées aux parois de cavernes ou aux cimaises de musées et que l'on dit pictural, ni avec la calligraphie – dont on sait qu'elle est dessin mais aussi écriture : rappelons qu'académiquement l'écriture est ce qui distingue la préhistoire de l'histoire –, ni avec le cinématographe, plus tout à fait récent. Mais en ce qu'elle impose aussi bien au sol que de face, horizontalement que verticalement, et que chacune et chacun à son gré le ressente comme pur geste ou bien trace, projection ou mémoire, cette performance semble nous rappeler à nous-même, ainsi qu'au fait que notre vie s'inscrit dans une géographie autant que dans l'histoire, et que nos actes l'écrivent autant qu'ils nous y enserrent (combien peu d'actes pour délier, libérer - mais ici peut-être ?).

On suit l'avancée lente d'une femme vers ce baluchon vierge dont elle se saisit et joue et se leste, baluchon qui peu à pas se transforme en oreiller, tampon encré, pinceau, sceau puis fardeau qui pèse, en même temps qu'il farde si on peut dire.


Dans un silence scandé par de rares cristallines invitations à la méditation ou métamorphosé en hautes et lentes vagues violoneuses, baroques et cisaillantes.


Ainsi apparaît, se déploie et retransforme le thème du bottari, lourde charge à nos mémoires autant qu'à nos vies, fardeau des pleins et des déliés de nos actes, de nos silences, du temps et, si l'on sait voir, de l'Histoire.


La mise en perspective ainsi proposée par la confrontation entre la trace créée au sol par les pas et les gestes de la danseuse, et celle qui dans le même temps (passée ou future mais présente) se déroule sur le fond de scène, a moins à voir avec la troisième dimension spatiale formalisée en Italie à la Renaissance qu'avec celle recréée (mais qui se veut recherche pure) par l'anglais David Hockney dans ses œuvres de distorsion photographique ou, mieux encore, dans cette merveilleuse avancée vidéo par une allée de sous-bois tandis qu'à l'est et à l'ouest et au sud et au nord de la salle se déploient les mêmes frondaisons, les mêmes ouvertures mais en quatre saisons différentes (The four seasons, Woldgate Woods, Spring 2011, Summer 2010, Autumn 2010, Winter 2010).


Un exemple canonique d'un premier expressionnisme coréen : perspectives 3D à l'encre

Nous voilà devant les images émouvantes d'une simili-calligraphie en train de naître en 3D spectaculaire en triple perspectives : les mouvements de la danse, le déroulé écran vertical et la vue depuis le ciel. Si l'expression audiovisuelle d'une performance corporelle à laquelle parvient Kim Sun-Young se lie au cours le plus actuel des procédés calligraphiques orientaux, elle est aussi profondément imprégnée de l'art des peintres les plus populaires de la dynastie Choseon, tels que Kim Hong-do ou An Gyeon ou Jang Seong-up.

Réminiscences suspendues…

Danse Mongumchok



Qu'est-il, ce rouleau de peinture en fond de scène ? La trajectoire encrée qu'un mouvement continu dévoile ? Pas tout de suite. Au tout début le rouleau est vierge, une haute ligne, verticale claire sur fond obscur, la voie du milieu peut-être, dans l'avancée de laquelle avance comme sur un fil la danseuse : vers le bottari et vers nous. Une fois qu'elle aura tracé son premier chemin au sol, des écritures-sœurs s'élèveront sur le rouleau, lentement, constamment, nous rappelant les ‘Mongumchok’, ces bannières orne­mentales en soie coréenne que l'on sus­pendait aux yeux des convives et aux pas des danseurs lors des banquets cérémoniels donnés à la cour royale pour célébrer grands et petits événements et relégitimer la dynastie Joseon (1392-1910). Par cette danse sous bannière, c'est le cœur même du roi Sejong qui se voyait transmis. Et en ce XXIe siècle dangereux, Kim Sun-Young le transmet toujours, dans une modernité renouvellée par un lent dévidement qui n'a rien à envier au scrolling continu de nos écrans numériques.

Transgression en 3D perspectives

La réalisation immédiate, en public et en musique – un accord unique en ré majeur –, d'empreintes picturales par le pur moyen d'une performance corporelle sensible, l'art contemporain occidental l'a déjà célébrée : c'était le 9 mars 1960 à 22 heures, rue Saint-

Honoré, à la Galerie internationale d’art contemporain à Paris, la création out of the IKblue des toutes premières anthropométries. Mais de qui et de quoi celles-ci furent-elles la trace ? Les trois jeunes femmes qui de leurs corps nus ont fait offrande de bleu profond aux toiles sont souvent désignées par leurs seuls prénoms et définies comme "de purs pinceaux vivants" par l'artiste qui les mit en œuvre. Lui les dirigeait des gestes et de la voix, et il portait costume devant « bourgeois et femmes du monde » tout aussi bellement habillés. Les Anthropométries d'Yves Klein appartiennent désormais à l'histoire de la peinture, les Bottari de Kim Sun-young n'y entreront sans doute ou peut-être jamais. Cependant l'autonomie c'est elle, l'indépendance c'est elle, la relation à nos vies aussi, et la vraie liberté.



La façon dont Kim Sun-young mime sans le copier le geste des grands peintres de la dynastie Joseon se fonde non sur l'objectivation mais sur la communion par l'expression même du corps, comme dirait Merleau-Ponty, et sur la familiarité entre deux réalités. Son mimétisme est donc basé sur une relation immédiate et directe qui s'incorpore la quintessence corporelle et gestuelle de l'art et par là en délivre une compréhension meilleure et profonde. Loin de toute passivité et de tout regard voyeuriste, non présentée comme un objet manipulé, sa performance la fait active autant qu'en méditation, indépendante et chargée de vie, danseuse et diseuse d'elle-même. Artiste, elle exploite ce qui est vu ou perçu – les mouvements dans l'air de sa chorégraphie, les traces qui en demeurent, laissées par l'encre – et transfigure l’art oriental traditionnel, communique des idées, partage des émotions, déroule et délie son histoire pour offrir aux spectateurs la quintessence d'un travail. Il se peut qu'elle ait eu l'intention qu'on réfléchisse plus particulièrement à tel ou tel aspect de l'expérience mais aucun mot ne l'affirmera, car ici c'est par le seul voir et le pur ressentir que lecture nous est donnée. Entre ce qui est montré et ce qui sera vu, ce qui est désigné et ce qu'on éprouvera, par la performance même et les traces mouvantes de l'encre, des aperçus et des gestes et du souffle, par le seul déroulé des choses, le contenu de l'œuvre n'a nul besoin d'explicite. « La danse ? » questionnait Maurice Béjart : « Un minimum d'explication, un minimum d'anecdotes et un maximum de sensations. »


2D vers 3D : Reverspective, peinture de l’artiste anglais Patrick Hughes. PAr à un habile jeu de perspectives, la peinture entre en mouvement sous nos yeux ou plutôt nous entrons en elle tandis que nous nous déplaçons devant elle. Donnant l'impression de s'y mouvoir.

Minamidera, au village de Naoshima, Japon : là, les maisons traditionnelles ont fusionné avec des installations d'art contemporain. Et dans une architecture de Tanae Ando, le regard centré sur le dehors du visiteur se tourne insensiblement vers l'intime sous une très lente montée de lumière orchestrée par l'Américain James Turrell. De l'extérieur vers l'intérieur.











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