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Livre : PACHINKO (l'écrivaine Lee Min-jin)

Dernière mise à jour : 20 avr. 2022


Par K. Yung


Comment l'écrivaine Lee Min-jin, arrivée aux États-Unis avec sa famille à l'âge de 8 ans, s'est-elle mise à collecter des données sur l'histoire coréenne ?

Lee Min-jin a une formation d'historienne, mais elle ne connaissait pas grand-chose à l'histoire de son pays natal. Elle a toujours eu l'impression immédiate d'être Américaine. Peut-être est-ce parce qu'elle n'a pas pu trouver de réponse à son identité profonde et qu'elle a voulu chercher ses racines.




L'histoire relatée dans Pachinko se déroule sur environ 80 ans, de 1910 à 1989.

Dans un petit village coréen, la jeune Sun-ja se laisse séduire par les belles paroles et tendres attentions d’un riche étranger. Lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte et que son amant est déjà marié, elle est confrontée à un choix : devenir une seconde épouse, une « épouse coréenne », ou couvrir sa famille de déshonneur. Elle choisira une troisième voie : épouser un pasteur chrétien qu’elle connaît à peine et qui lui offre une nouvelle existence au Japon. Cette décision est le point de départ d’un douloureux exil qui s’étendra sur huit décennies et quatre générations. Dans ce roman familial, l'écriture précise et dépouillée de Lee Min-jin élève, à travers un siècle de relations nippo-coréennes, un hymne intime et poignant à toutes les humiliations et douleurs subies par les Zainichi, qu'elle considère comme ses frères et sœurs et pères et mères au Japon. Parmi les cas recueillis par Lee Min-jin lorsqu'elle vivait au Japon, il y a celui de cet étudiant coréen-japonais de 13 ans qui s'est suicidé en sautant du toit d'un immeuble parce qu'il souffrait de violences à l'école. Le contenu de son smartphone en témoignait : menaces accompagnées d'insultes de toutes sortes telles que "Ça sent l'ail. Ça sent le Kimchi. Retourne dans ton pays". Le nationalisme japonais s'obsède de 'pureté du sang', une exception dans les sociétés avancées, et ne reconnaît pas la double nationalité. Au Japon, à vos 22 ans vous devez décider de choisir ou d'abandonner la nationalité japonaise. En Corée, la double nationalité est partiellement autorisée et, dans le cas des étrangers, une double nationalité conditionnelle se voit reconnue.


Manifestation des Zainichis au Japon


L'identité culturelle des Zainichi réside dans la nature hybride d'une existence sociale ni coréenne ni japonaise. Une identité solitaire et dure d'étrangers n'ayant jamais reçu de protection appropriée d'aucun état. Plutôt que de leur poser la difficile question « Êtes-vous du côté coréen ou du côté japonais ? », il serait bon d'observer la culture que ces diasporas ont su faire naître au cœur de la relation compliquée entre la Corée et le Japon, et reconnaître leur valeur intrinsèque.



Le Japon dispose désormais d'une loi contre les discours de haine, mais qui ne prévoit pas de sanctions contre les contrevenants, se contentant d'établir un cadre. Cette loi a été adoptée en 2016 alors que s'intensifiaient les attaques contre la minorité Zainichi.

Osaka, où se trouve une importante communauté Zainichi, a été le premier gouvernement local à prendre acte de la nouvelle donne : dès 2016, après un rassemblement au cours duquel l'extrême droite a appelé à expulser les Coréens du Japon ou à les tuer, Osaka a introduit des mesures pour rendre publics les noms de ceux qui incitent à la haine et supprimer leurs contenus internet. Cette décision politique fut un signe encourageant pour les autres gouvernements locaux. L'Asahi Shimbun rapporte qu'à la suite d'Osaka, Tokyo a imposé des restrictions à l'utilisation des terres publiques à toute personne reconnue coupable d'incitation à la haine.

Ces derniers mois, on assiste à une nouvelle recrudescence des violences ciblant les Zainichi. Dans la seconde moitié de 2021, on dénombre au moins trois attaques contre des structures et des bâtiments de la communauté coréenne au Japon tandis que l'extrême droite, bien que réorganisée sous le couvert du Japan First Party, continue d'agir dans l'espace public.


Discrimination, haine et "Zainichi" apatrides

La question des Zainichis n'est pas un sujet méconnu au Japon. Cependant lorsque l'auteur s'est récemment rendu sur place, elle a avoué ne pas avoir trouvé de pachinko à Tokyo. « J'adore le Japon. Mais parce que je suis Coréenne, j'ai avec ce pays une relation compliquée » a-t-elle déclaré au New York Times. Puis, ses mots se sont faits durs : « La force d'un pays se révèle par la lumière qu'il sait ou ne sait pas faire sur son passé. » Il n'est pas facile d'expliquer aux Européens la relation tordue qu'entretiennent la Corée et le Japon : pour ceux qui aiment le Japon, la réalité vécue par les Zainichi se confronte toujours au conseil "Ne regardons pas trop négativement le Japon". Pourtant, le fait que chaque année des hommes politiques allemands (voire des criminels de guerre) se rendent sur les lieux du massacre juif et s'excusent au nom de leur pays témoigne de la capacité de l'Allemagne à prononcer la vérité de manière transparente. Après l'invasion de la Russie en Ukraine, 80 % des médias japonais étaient débordés d'informations sur cette guerre, de sorte que les Japonais perçoivent la vérité comme une menace. Les administrations américaines successives ont espéré une amélioration des relations entre Corée et Japon car il serait fructueux de constituer une stratégie asiatique liant les deux pays. Or jusqu'ici, chaque fois que des incidents se produisent ou que des questions historiques se manifestent, comme celle de Dokdo et celle des 'Femmes de Réconfort' avant et après la seconde guerre mondiale, ils troublent profondément la relation des deux pays. Plus le Pachinko de Lee Min-jin recevra d'attention en Europe, plus il aura d'échos, plus on espère que les Européens comprendront l'ancienneté de la question.


80 ans après la libération, trois ou quatre générations de Zainichi se sont succédé et cependant parmi cette population de 500 000 personnes on ne compte aucun militant communautaire et aucun homme politique du pays n'en est issu. Par principe, la voix d'un Zainichi ne saurait être entendue par le Japon. Situation nettement différente de la France qui a déjà eu plusieurs ministres d'origine coréenne.Totalement assimilée sur le plan de la langue comme de l'éducation, exerçant sans problème dans les hautes technologies et accédant à des emplois bien rémunérés, la nouvelle génération de Zainichi n'en demeure pas moins un collectif de personnes sans nationalité qui n'appartiennent ni à la Corée ni au Japon.


la haute cour rejette la demande d'exemption de frais de scolarité d'une école coréenne

Les « Zainichi »

Ce mot japonais désigne les Coréens de nationalité nord-coréenne et les Coréens restés au Japon après la libération du 15 août 1945 qui ont été sinon acceptés du moins tolérés dans l'archipel en tant que résidents permanents. Ils vivent à l'instar des Bidouns nomades du désert koweïtien, à qui la politique discriminatoire du gouvernement koweïtien n'accorde ni la citoyenneté qui devrait leur revenir sur la terre où ils sont nés et qu'ils habitent, ni prestations telles qu'éducation et soins médicaux.

Afin d'éviter une critique frontale portant sur les droits humains et éluder d'éventuelles attaques des ONG ou des Nations Unies contre le si riche pays du Koweït et cette politique affirmée de discrimination, l'état Koweitien a secrètement negocié auprès des Comores l'acquisition en vrac de passeports avec une intention d'expulser les Bidouns… provoquant par là même les répercussions internationales qu'il cherchait à éviter.


Les Zainichis parlent moins bien coréen que les fans de dramas Hallyu, et ils affichent une distance plus grande envers la culture pop coréenne que les étudiants japonais, lesquels fredonnent chaque jour de la K-pop. Certains descendants d'origine coréenne ont un conjoint japonais et prouvent leur identité tantôt avec une carte de nationalité japonaise, tantôt avec un passeport coréen. En dépit des discriminations subies au quotidien, le sentiment d'être rejetés par la société japonaise ne rapproche pas les Zainichi de la lointaine Corée. Car leur réalité est d'être nés et d'avoir grandi au Japon. Un Japon où ils sont des « citoyens de seconde classe » qui n'ont que des obligations mais aucun droit, et s'ils veulent voyager hors du pays c'est avec un passeport spécial de résidents permanents tacites.

Ce document ne leur donnant le droit de voter à aucune élection japonaise, ils conservent la possibilité théorique d'exprimer leurs préférences politiques lors de l'élection présidentielle coréenne en tant que… citoyens coréens d'outre-mer. Cette situation fait beaucoup penser au Passeport Non-Citoyen de Lettonie. Car en Lettonie, les non-ressortissants ou étrangers (letton : nepilsoņi), conformément à la loi "concernant le statut des citoyens de l'ex-URSS qui ne possèdent ni la nationalité lettone ni autre nationalité", disposent d'un "passeport de non-ressortissant" délivré par le gouvernement letton et ouvrant à des droits spécifiques très restrictifs. Environ les deux tiers des titulaires sont des Russes de souche, suivis des Biélorusses, des Ukrainiens, des Polonais et des Lituaniens.

Les non-ressortissants sont "les citoyens de l'ex-URSS (...) qui résident en République de Lettonie ainsi que ceux qui sont en absence temporaire et leurs enfants qui remplissent simultanément les certaines conditions".


Les documents électoraux distribués sur Internet à l'intention des Zainichi étant en coréen, rares sont les Zainichi à les lire et comprendre. Pour connaître les candidats à la présidentielle, leurs programmes et promesses, ils cherchent sur YouTube ou d'autres medias… également en coréen. Car du côté des Coréens, dont le sentiment ethnique est lui aussi très profondément enraciné, les Zainichi sont balayés par des questions telles que « Quel genre de Coréen êtes-vous, qui ne savez même pas la langue ? ». Que répondre librement à ça ? Ainsi vivent les Zainichis, citoyens de seconde classe qui depuis plus de 80 ans n'appartiennent ni au Japon ni à la Corée.


Japon exclue les enfants Zainichis de l'éducation nationale préscolaire

Zainichi est une cible de discrimination et de haine

La discrimination renaît toujours, repousse toujours, comme la mauvaise herbe, et ce, même lors d'une crise aussi grave que celle du coronavirus. Une controverse a éclaté après qu'un gouvernement local a distribué gratuitement des masques aux jardins d'enfants du district et a exclu de ces distributions les jardins d'enfants des écoles de Chosun appartenant à la communauté Zainichi. Après les protestations des médias et des communautés Zainichi, il a été décidé de leur fournir des masques, mais dans la foulée les propos discriminatoires du responsable « Si des masques étaient fournis aux écoles de Chosun, ils pourraient être utilisés de manière inappropriée » sont eux-mêmes devenues un problème.

Il est courant que les partenaires d'un mariage "mixte" se voient confrontés à l'opposition de la famille, et il est naturel que même de hautes compétences ne garantissent pas d'obtenir un emploi ou une promotion. On sait le cas d'un Zainichi qui ayant travaillé dans la même entreprise pendant plus de 20 ans, a depuis longtemps renoncé de lui-même à toute demande de promotion, conscient de l'attention discriminatoire qu'elle recevrait. Un professionnel des Ressources Humaines dont la ligne est d'exclure par principe toute candidature “Zainichi” a même cru bon de prévenir : « Si vous étiez recalé à l'entretien, vous auriez la possibilité de soulever la question d'une discrimination éventuelle. Afin d'éviter une telle situation gênante, nous vous rejetterons à l'avance, dès le processus de filtrage des documents. »

Il n'y a pas de mot plus commode pour justifier la discrimination que l'inconvénient du travail au Japon.


Lorsque naît un enfant, si l'un des conjoints est japonais, le nom de famille coréen n'aura même pas un droit automatique de cité. Le registre de famille ne l'incluera qu'à condition que le nom de famille japonais ne soit expressément sélectionné lors de la déclaration. Les noms de famille coréens sont ainsi bloqués dès la naissance. Par la suite, afin d'éviter les traitements discriminatoires et le regard (Ijime) des camarades de classe, les parents se résignent à ce que leurs enfants utilisent leurs seuls prénoms japonais en lieu et place de tout prénom coréen. Bien que le poids des regards pesant soit ainsi souvent évité, confusion et troubles de l'identité vécus seront inévitables.

Une femme Zainichi, intérimaire dans une grande société immobilière, a en 2015 déposé une plainte contre une société qui avait distribué à plusieurs reprises des documents contenant des discours de haine contre les Coréens. Le tribunal de district d'Osaka a rendu une décision reconnaissant la violation du droit à la personnalité par expressions discriminatoires dépassant un écart socialement acceptable et a condamné la partie au litige à payer 1,1 million de yens.

Même s'il existe une loi interdisant la discrimination, la haine profondément enracinée envers les Zainichi dans la société japonaise est loin de disparaître, les changements de comportement social sont mineurs , la discrimination imprègne et gangrène la vie quotidienne suit des Zainichi, les condamnant à une vie toujours instable, difficile et douloureuse.


Les Zainichis coréens living au Japon sans nationalité

Zainichi porteur de l'identité solitaire et dure d'étranger jamais correctement protégé par l'État

(par Kim Kyung-wha, professeur associé, Université des études étrangères de Kanda)


Pour sa part, la société coréenne n'est pas prompte à exiger avec audace "Stop à la discrimination contre les Zainichi". A l'époque où des centaines de milliers de compatriotes restés au Japon souffraient de difficultés extrêmes, le gouvernement militaire de Corée les traitait de « traîtres tournant le dos à leur pays pour de l'argent » et on leur demandait constamment s'ils étaient des espions nord-coréens. Jamais dans le passé, aucun gouvernement coréen n'a traité les Zainichi en compatriotes ou n'a coopéré activement à l'amélioration de leur statut juridique dans la société japonaise. Même aujourd'hui ce regard malaisé demeure. Bien que la K-pop si populaire au Japon évoque le sujet, et que les histoires récentes de la Corée et du Japon ne l'éludent plus, le regard porté par les Coréens de la péninsule reste indifférent aussi bien aux circonstances de l'Histoire qu'aux difficultés actuelles à vivre dans une sorte de glacis juridique, nationaliste et mental entre les deux pays. "Pourquoi ne peux-tu pas parler coréen si tu es Coréen ?" et "Connaissez-vous vraiment la culture coréenne ?" sont les questions pareilles à des insultes infligées sans se soucier de la difficuté qu'éprouvera à répondre un Zainichi qui ne peut pas être intégré à la société japonaise et a toujours été ignoré par la société coréenne.


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