Ce soir ouvre à Paris la 5e édition du Festival SoUM, Spectacle of Unlimited Movements, consacré à la création chorégraphique coréenne des temps présents. Ce jeune festival fait depuis 2018 passerelle entre la danse telle qu'elle se vit et se fait là-bas en Corée, la danse telle qu'elle se vit, se fait et se voit ici en Europe.
programme complet ici / réservations là
Onomad a chaque fois que possible relaté la merveilleuse offrande que Soum / 숨 qui veut dire Souffle, fait au public français amateur de danse contemporaine et nous souhaitions de longtemps rencontrer l'un des discrets initiateurs cette manifestation culturelle appelée, nous le croyons, à de réjouissants avenirs.
En avant-première de ce Festival de Danse qui aura lieu ce soir 2 novembre et les deux soirs qui viennent au Regard du Cygne dans le 20e arrondissement de Paris, voici donc un entretien avec Paolo Tosini, Directeur à parole rare, délicatement désireux que la lumière reste sur tous et avant tout les autres, à l'élégante façon de ces personae de la cinématographie italienne reconnaissant que dans la “Vita difficile”… “ci siamo tanti amati” pour faire delle belle cose insieme, delle cose d'Arte.
5eme édition,
cela veut dire beaucoup de belles choses déja. Ici, un aperçu
Faire naître un Festival, donner à voir des pièces dansées dont chacune est une création unique, un inattendu faisant irruption dans le réel, faire "simplement" que des œuvres (qui veut dire ouverture) soient jouées, dansées, présentées, et on l'espère ressenties, accueillies, applaudies, participe d'un cheminement profond, intérieur, et d'une énergie collective dont nous aimerions partager avec vous quelques aspects par le biais de cette rencontre hier après-midi, veille de Festival dans un café de Paris.
Pyo Sang-man, The Great Man - samedi 4 novembre
Une des caractéristiques de cette cinquième édition est la présentation de créations croisées nées ces tous derniers jours au sein de ce que Soum appelle les Résidences. Cette année Hong Eunjoo, Pyo Sang-Man et Thibaut Eiferman ont ainsi rencontré, pour la première Christina Towle, par ailleurs artiste invitée à la programmation du Regard du Cygne, pour les deux autres Hardburger Kim, musicien.
L'idée des Résidences existait dès la naissance de SoUM. Mais le Festival, comme toute manifestation culturelle, et tout particulièrement ces trois dernières années, doit se confronter au réel, au possible, et s'y adapter. Ce n'est que depuis l'année dernière que l'idée a pu, enfin, se concrétiser.
Afin d'encore mieux apprécier le chemin parcouru dessiné par ces surprises que constituent les "co-créations en résidence", l'usage du Festival SoUM est de représenter aussi des œuvres emblématiques du travail chorégraphique des artistes invités : c'est ainsi que cette année nous permettra de voir Température de Distance d'Eujoon Hong (samedi 4 novembre), The Great Man de Sang-Man Pyo (idem) et des extraits d'H.H.H de Thibaut Eiferman (ce 2 novembre et le 4).
Température de distance, Hong Eujoon - samedi 4 novembre
Paolo Tosini : « Les résidences sont organisées sur un temps court, dans des lieux à proximité du Festival. Avec l'idée de faire se découvrir des artistes de cultures et de profils différents, qui se rencontrent pour la première fois, et dans la vitesse, dans l'énergie de la rencontre voir quelle est l'idée qui surgit. Ce qui ressort est souvent une intuition à partir de laquelle les artistes arrivent faire naître une histoire et à présenter quelque chose. L'année dernière ce fut un vrai succès public : la mise en contact d'un même art (lorsque les artistes des deux bords sont danseurs) ou d'arts-frères-sœurs (lorsqu'un chorégraphe rencontre une musicienne par exemple) pratiqués par des personnes de cultures différentes génère quelque chose de l'ordre de l'ouverture qui a beaucoup plu. C'est vrai pour les artistes également. En novembre dernier, la violoncelliste m'a dit avoir eu d'abord un vrai questionnement lorsque nous lui avons fait la proposition… Puis elle a accepté par enthousiasme et curiosité mais elle ne savait absolument pas, m'a-t-elle confié après, ce que ça donnerait de travailler avec un danseur. Et finalement… elle était très contente et nous a vraiment remerciés parce qu’elle s'est retrouvée à jouer dans tous les sens du terme avec le danseur, à faire un peu l'actrice et c'était si insolite, si inusuel que ça lui a permis de découvrir en elle des choses qu'elle ne connaissait pas, des capacités expressives et de mouvement qu'elle a pu explorer sur scène. Nous espérons cette année aussi que ces rencontres (deux co-créations en résidence seront présentées), cette surprise, cette explosion des atomes artistiques génèrera quelque chose pour le public et pour les artistes.»
[Bien sûr le format court des résidences est aussi dicté par des impératifs matériels, notamment financiers, mais…]
Paolo Tosini : « …Mais le regard financier ne pourra jamais traduire la réalité de l'investissement artistique et ce qu'il représente, non seulement pour ce qui est de l'art en soi mais du point de vue humain, et pour la société. Là on a des partenaires qui nous aident, qui sont sur les affiches, et donc on arrive à s'en sortir. Le gros projet pour les années à venir serait de donner une dimension internationale à notre jeune festival ce qui permettrait de lisser les dépenses tout en augmentant l'audience, le public, les échos et… les recettes permettant de continuer et approfondir. Parvenir à trouver d'autres pays en Europe où amener et présenter notre festival est un enjeu majeur. Personnellement j'ai envie d'ancrer ce projet “coréen” en Europe.
Je suis Italien, j'ai beaucoup vécu à Paris, j'habite maintenant au Luxembourg, ma vie a fait que j'ai noué des liens très forts avec des Coréens, de plus des artistes coréens, des artistes coréennes et coréens. Je me sens comme au milieu de ce carrefour, de ce croisement culturel. Un pied ici, l'autre là, la main au centre, et le cœur qui a deux amours, un pays et Paris comme dit la chanson, je pense que chacune et chacun dans l'équipe Soum peut revendiquer cela et on voudrait que le festival arrive à en profiter. Pas seulement sur le plan financier mais parce qu'ainsi d'autres cultures que la française (l'Europe est loin d'être monolithique) seraient confrontées aux recherches de la danse contemporaine coréenne.
Du côté du lien avec la Corée, la dimension internationale est déjà présente bien sûr. Pas seulement parce que la programmation est de façon centrale "coréenne" mais par exemple parce nous sommes partenaires du Seoul Choreography Festival (SCF) qui chaque année nous propose une sélection dans laquelle nous puisons. Et cette année, Rêve d'une coccinelle, de Ha JieHye, primé à Séoul comme à Budapest, témoigne de ce partenariat. Il y a aussi, et au premier chef, Korean Dance Abroad avec qui nous sommes main dans la main depuis le début. Il y a vraiment quelque chose de collégial chez Soum. L'élargissement qui est toujours une intégration, c'est évidemment le fait que grâce à Christina Towel, artiste associée à la programmation du Regard du Cygne, notre jeune festival se trouve cette année intégré en préambule à leur Festival Signes d'Automne… qui fait naturellement écho au célèbre Festival d'Automne parisien. Christina Towel, qui est elle-même franco-américaine et chorégraphe participe d'autant plus pleinement à cela que cette année elle est artiste en résidence, avec Eunjoo Hong, et nous en aurons la surprise ce soir.
Dans "international" on entend en premier "inter" = entre…
Paolo : « Absolument. Cet aspect de rencontre entre les cultures, mais aussi entre les regards — les regards dans le public, le regard de chaque proposition sur elle-même, le regard des créateurs sur leur création – est très important à mes yeux.
L'année dernière, on a eu cette proposition en duo, très fine et drôle où danseur et danseuse faisaient également penser à des clowns (c'est important je crois, nous avons en Italie et en Europe une grande tradition des deux clowns) imageaient aussi un couple. Et dans ce couple à un moment de la chorégraphie, l'homme à un moment donne une tape à sa femme. Après le spectacle, un monsieur américain s'est élevé de façon véhémente contre ce "tapage", il avait vraiment été choqué par ce contact physique qui lui a semblé un peu fort et qu'il a immédiatement lu dans un contexte metoo qui fait ressurgir et remonter nos blessures à nous, Occidentaux. Or, cette façon très tactile, est aussi profondément coréenne. C'est très affectif, et c'est une chose qu'on découvre si on entre en intimité, pas seulement amoureuse mais amicale voire "comme si on était famille", avec un Coréen ou une Coréenne. Ce monsieur n'avait pas perçu cela, pour lui c'était un affront, une grande tape.»
En réalité cette petite tape pour la danseuse, était… une grande claque, culturelle, pour le public. N'en dit-on pas ainsi lorsqu'on découvre la lune, chers amis américains ?
Rires. Un tel festival révèle comment chaque culture répond à telle situation et nous interroge (pour autant qu'on accepte d'être interrogé) sur nos propres représentations. Pour moi, toute sensation, toute lecture est légitime, après l'important est d'arriver à exprimer cette lecture et arriver à quelque chose qui permet à tout le monde de se comprendre, d'avoir les clés pour comprendre la raison des autres…
Il suffit d'un pas de retrait…
…Je dirais presque qu'il faut un pas de retrait au moment de la surprise, un recul, une suspension pour regarder, chercher à voir vraiment et comprendre avant de ramener à soi et juger avec des critères dont souvent on ne se rend même plus compte qu'on les a et qu'ils ont été construits par la culture au sein de laquelle on évolue depuis la naissance. Oui, le pas en retrait est vraiment la clef la plus haute pour arriver à lire une proposition culturelle issue d'une autre culture que la nôtre.
Une autre chose que je trouve importante est d'avoir un espace pour parler, pour se parler. Je suis très content de l'année dernière où chaque soir après les spectacles les artistes sont venus se mélanger aux spectateurs pour les rencontrer. On se trouvait au centre de débats, de vrais échanges et j'espère que cela arrivera aussi cette année, qu'on arrivera à le remettre en place parce que je trouve que c'est une chance. Un Festival doit toujours avoir sa petite couleur, une signature, quelque chose qui le caractérise… Si on arrivait à sauver ce temps informel, qui s'est ouvert de lui-même, où qui veut a la possibilité de dire j'ai beaucoup aimé, dans votre prestation à un moment j'ai remarqué que, est-ce que vous pouvez me dire, etc. ce serait parfait. Je trouve que c'est la bonne façon de faire atterrir les sensations qu'on a eues, qu'on a reçues grâce aux danseuses et danseurs et chorégraphies offertes — des mouvements, des exaltations, mais aussi de l'intimité et des secrets révélés et ces petites tapes dont on parlait —, de faire atterrir tout ça, de tous faire un pas en arrière et puis ensemble, chacun un pas vers l'autre… et c'est une nouvelle chorégraphie de rencontre, par l'écoute partagée et les paroles.
Peux-tu me parler de l'équipe, de comment se structure le Festival ?
Non seulement je peux mais je le veux.
Car la première vérité, c'est qu'on est incroyablement aidés par les bénévoles qu'on a.
Notre chance actuelle réside dans le fait qu'on est encore un jeune Festival, aussi il nous faut peu de bénévoles pour faire tourner la machine mais c'est vrai aussi qu'on veut prendre de l'ampleur, faire résonner encore mieux la petite musique qu'on avance. Alors, pour ça on aura besoin de plus d'aide. SoUM est un jeune Festival, et aussi une structure ouverte, il y a la place, il y a des places. Être bénévole ça peut signifier plein de choses… Alors si quelqu'un est passionné, si une personne a envie de grandir avec nous, vraiment je l'y invite, c'est possible. Contactez-nous.
Je sais que c'est difficile, qu'il n'est pas toujours simple – c'est vrai pour nous en premier – de s'investir vers l'art et dans une forme de gratuité… Après, l'espoir est d'arriver à créer un modèle économique qui fonctionne. A terme on veut créer un modèle qui génère les ressources permettant à celles et ceux qui le font de continuer. En fait c'est le plus beau souhait qu'on puisse faire pour Soum.
J'ai rencontré SoUM sans savoir que c'était SoUM, par Bottari de Kim Sun-young qui dans mon cœur a ouvert une trace à jamais dansée, dessinée, et pour ainsi dire écrite. Bottari est une blessure et une grâce, une merveille. Et c'est par Kim Sun-young que j'ai commencé à écrire pour Onomad. Alain a
Comment est née l'association ?
Paolo Tosini : « L'association est née d'une triple rencontre : entre moi (encore une fois, mon titre de Directeur n'est que d'organisation et aussi de présentation, lors des soirées notamment… si je l'assume c'est peut-être parce que j'ai été trop timide pour refuser ça à des camarades encore plus timides que moi), ma très discrète amie Han Jae-hyun qui est la personne qui constamment amène sa connaissance du milieu artistique et professionnel notamment en Corée, Jae-hyun sans qui rien n'existerait, et enfin Korean Dance Abroad dont j'ai déjà parlé — Korean Dance Abroad est une entité en soi, mais c'est vraiment grâce à KDA que nous avons pu entrer dans une dynamique vraiment professionnelle. KDA est une organisation coréenne dont le rôle spécifique est de promouvoir les artistes chorégraphiques coréens à l'étranger. Ils ont mis en place les dispositifs qui leur permettent d'organiser les tournées, de favoriser la présence d'artistes coréens sur des scènes occidentales etc. Ils font un travail essentiel.
Paolo, peux-tu dire comment naît le mouvement qui conduit à inventer un Festival, de quelle énergie cela procède ? Ce n'est pas rien, c'est très profond, très généreux aussi, non ?
Je préfèrerais ne pas parler de moi.
(j'insiste)
Alors écoute, c'est peut-être idiot, innocent, enfantin mais j'ai une vision presque religieuse de l'art. Quand on voit la guerre, quand on voit que les gens n'arrivent pas à boucler leurs fins de mois, c'est peut-être une idée de rêveur mais à mes yeux l'art transcende tout ça,
alors j'ai de toujours espéré pouvoir donner un peu de mon temps de vie à l'art. Mon métier est très différent, ma façon de "gagner ma vie" (drôle d'expression) très différente. Ce qui se joue pour moi avec Soum est autre chose. Et peut-être est-ce le chemin qui donne un sens à ma vie… J'ai rêvé SoUm, pas tout seul, avec des autres très chers à mon cœur, parce que je voulais porter ma pierre à l'édifice. J'aime beaucoup la danse, je m'y suis confronté, sans entrer dans des détails de vie personnelle, comme beaucoup de gens qui aiment la danse je voyais des spectacles, notamment au 104. Très immédiatement j'ai ressenti quelque chose qui serait de l'ordre de l'empowerment si je peux dire. Lors des spectacles je découvrais des mouvements que je n'aurais jamais imaginés mais qui à partir du moment où je les voyais, où un ou une artiste les avait dansés, vécus, offerts depuis la scène, devenaient miens. Je me sens chaque fois habité par ces mouvements découverts au point de les refaire, chez moi, pour moi. Ils m'enseignent quelque chose sur moi-même, me découvrent à moi-même quelque chose que j'ignore… C'est très plastique de voir et sentir par la danse comment un mouvement, tu peux l'intégrer dans ta vie, ta vie quotidienne. C'est très fort, très libératoire, c'est très émouvant aussi (un mot si près du mot mouvement)
Quand j'ai découvert la danse – en spectateur – j'ai immédiatement eu la notion que c'était non seulement un art mais une guérison. Du corps mais aussi de l'âme
Guérison est le premier terme que j'ai noté en préparant cette rencontre à propos de l'édition V du Festival. J'ai une amie qui suit une masterclass avec un chorégraphe qui fait danser des gens atteints par la maladie de Parkinson…
Moi qui ne suis pas danseur, et peut-être même qu'entre toutes les formes d'art c'est celle sur laquelle j'ai le moins de notions, pratiques et théoriques, il me semble qu'en même temps c'est peut-être la forme d'art à laquelle on peut accéder le plus immédiatement, facilement, parce que le plus petit mouvement, même ça (il bouge sa main) peut devenir un mouvement de danse.
Sentir cela nous donne des clefs pour se mettre en question (pourquoi je bouge comme ça et pas comme ça), pour trouver une stature, et c'est aussi, là encore (là en corps) libératoire.
Une forme d'art très puissante, qui connaît et suscite des sommets esthétiques, techniques et d'émotion (et c'est ça qu'on va contempler et recevoir lors d'un spectacle, d'un Festival) mais qu'on peut s'approprier, ne serait-ce que dans le secret de sa chambre. Le fait de regarder danser me donne toujours la satisfaction de la danse. Ce mouvement que je ne connaissais pas, que je n'imaginais même pas, et bien soudain il est en moi, il fait partie de moi. Un patrimoine invisible, éphémère, secret, que chacun peut exploiter à sa guise. Et c'est ce qui m'a motivé à travailler avec Jae-hyun à inventer ce festival. Par la danse regardée, il y a transmission. Et dans notre petit, jeune, festival, transmission de l'être coréen contemporain, de ce que c'est qu'être coréen mais aussi danseuse ou danseur, mais aussi et tout simplement ce que c'est qu'être humain, au présent. La transmission d'une vibration. C'est incroyablement vivant. J'ai l'espoir qu'on ait créés ensemble un lieu de rencontre et d'échange, un lieu où deux cultures se confrontent et peut-être trouvent les clefs pour se comprendre…
Comment avez-vous choisi le nom Soum ?
Au bout de longs ateliers et échanges entre nous, ce mot 숨 , qui veut dire Souffle en Coréen, est venu de Jae-hyun (je ne parle pas coréen, non plus que je danse ; ). Une fois prononcé il est devenu évidence. Pour moi, Soum , 숨 , raconte le mouvement d'une façon indirecte et très intime puisque notre souffle est véritablement, organiquement, ce qui lie l'intérieur et l'extérieur, l'extérieur et l'intérieur, ce qui entre et ressort, l'oxygène qui nous fait vivre, nous alimente, fait battre nos cœurs. Ça touche plein de choses. Après on a joué à imaginer un acronyme, Spectacle of Unlimited Movements, je ne suis pas certain que ça marche exactement en anglais mais c'est drôle et ça nous donnait aussi l'idée de la liberté que nous voulions nous accorder. L'idée de nous situer dans une exploration qui n'empêche rien, qui ne soit pas dogmatique.
Il me semble qu'il y a eu 3 phases
Les 3 phases sont nées en réaction à une conjoncture : on a fait avec la situation. Au départ donc, des vidéos, la réponse la plus classique à l'urgence.
Ensuite, des artistes sont arrivés avec la demande de pouvoir utiliser le médium vidéo en l'explorant différemment. Avec le Covid on s'est retrouvés pendant plusieurs mois à ne pouvoir voir des spectacles, de danse notamment, qu'à distance, en ligne, et par "captation". Nos artistes en ont eu un peu assez, et ont souhaité aller au-delà de la simple captation, et utiliser la vidéo dans ses potentialités de création. Ils sont parvenus quasiment à des courts-métrages à part entière. On sortait de la reprise d'une performance pour aller vers l'adaptation de la danse à d'autres formes de récits visuels, ce qui a beaucoup plu au public j'ai trouvé. De nouveau on se retrouvait "en salle", et le public était demandeur de quelque chose d'original après des mois et des mois de captation standard. Ce SoUM vidéo a quelque part assouvi la soif de découvertes autres pour la transmission de la danse
L'an dernier a commencé notre partenariat avec le Regard du Cygne (en fait, on s'était contactés avant le Covid, c'est donc une équipe et une structure avec laquelle on espérait travailler depuis longtemps) et on espère rester avec eux. On se trouve avec eux dans une très agréable relation d'échange réel, et la structuration du lieu permet qu'après les spectacles se crée cette dimension de rencontre entre les artistes qui viennent de danser et leurs spectateurs. Cela est possible du fait de la taille et de la structuration de l'espace au Regard du Cygne mais aussi parce que la Directrice porte le projet en elle, nous accueille dans son propre projet. On est très heureux que cette année nos trois soirées soient intégrées à leur Festival d'Automne. C'est un très beau mariage. Le Regard du Cygne est un partenaire parfait.
Between, Momuro Movement Lab, Ahn Kyum & Lee Gayoung - les 2 et 3 novembre
L'édition V - 2 au 4 novembre 2023 - Les œuvres sélectionnées
La sélection des œuvres ne s'est pas faite à partir d'une thématique, on n'est pas pour l'instant dans quelque chose de cet ordre-là. Mais plutôt de l'ordre de la gourmandise, avec des plats complètement différents, aux saveurs très différentes : il y a des œuvres très contemporaines, et d'autres issues de ce qu'on appelle la danse traditionnelle coréenne — tu disais chamanique tout à l'heure… Pourtant, dans les œuvres présentées cette année je repère quand même des thèmes qui peut-être dessinent quelque chose du présent ultra-contemporain de la Corée, quelque chose donc qui interroge donc la Corée mais aussi nos sociétés européennes. Querencia, Jang-gu & Puri, Température de distance, Rêve d'une coccinelle peut-être, explorent le thème de la guérison que nous avons évoqué… Il y a aussi le thème du couple, de la vie de couple, Between parle vraiment de ça, il y a le questionnement sur les règles intimes auxquelles se conformer : HHH.
De façon générale il me semble que la Corée a vécu un "progrès" extrêmement rapide qui a engendré des tensions avec leurs anciens savoirs, coutumes, traditions qui sont toujours très fortes dans un pays qui, vu depuis ici est déjà le futur, notre futur peut-être. Je ne suis pas sociologue, juste un observateur — dans ma vie et dans l'art – mais je ressens que la tension est énorme entre ce traditionnel maintenu et ce futur propulsé, entre ultra-richesse et pauvreté, gentillesse native pour ainsi dire et méchanceté ou dureté, et ces abus de pouvoir que retranscrivent aussi les K-séries. Il y a une forme de violence qui est intégrée dans la société actuelle coréenne et je trouve que ça raconte quelque chose très utile pour le devenir de nos sociétés européennes contemporaines. Par ailleurs, en tant qu'Européens notre lien au spirituel est devenu très encadré — par une religion qui connaît plusieurs formats mais a une source, la chrétienté —, le magique est passé. Eux en Corée ont encore des liens très forts avec ce magique et ce spirituel originel. Donc ça m'interroge beaucoup, nous qui vivons dans une société où chacun a le diable (il montre son smartphone) dans la paume, et un cadre très cadré pour le religieux. Pour moi ce Festival arrive à exprimer tout cela : la guérison possible ou impossible, la vie de couple, la modernité, la violence de l'incommunicabilité et des individualismes, tout ça est nourri et interrogé par une tradition dansée qui nous emmène très loin dans l'espace et dans le temps. C'est ce que je trouve très beau et qui m'invite à m'asseoir à la table des spectacles proposés.
Paolo, dans tout ce que tu dis, et pardon si cela heurte ton désir de ne pas t'afficher, il me semble que ton cheminement à travers SoUM vers la danse, et la Corée, et l'art, vient d'un point secret de ta vie, et que ce point secret t'a donné l'énergie pour te lancer dans ce qui est un travail considérable : donner à voir des œuvres uniques nées du désir, du talent et des rêves de personnes uniques dont la plupart sont nées pour nous au-delà de l'horizon. Peut-être ce secret doit-il rester secret, peut-être n'a-t-il aucune importance, mais certainement chacun des membres de SoUM détient le sien, vibrant, battant… Je dis n'importe quoi ou… ? …Accepterais-tu malgré toute ta réserve de nous confier quelque chose de ce secret… Cela pourrait aider à ce que naissent des vocations, à ce que des personnes rejoignent Soum, à ce que des êtres aillent au bout de leurs rêves.
Silence. Puis
…On pourrait dire que j’ai rencontré ensemble l'Art et la Corée, comme une initiation double dans ma vie. Comme toutes les vraies initiations, ses premières marches furent très simples, très quotidiennes et d'évidence. C'est par quelqu'un, nous étions colocataires, et qui était aux Beaux-Arts à Paris mais qui avait fait un très long voyage pour y parvenir, un voyage très inusuel depuis la Corée et un dénuement certain. Une personne à fleur de peau, et au fond du cœur, et par la main et par l'esprit vraiment une artiste.
Une vraie rencontre pour moi, la révélation de ce qu'est une ou un artiste. Quelqu'un qui n'est pas motivé par des questions de succès ou d'argent mais d'art. Elle a compté très fort dans ma formation humaine. C'est par elle que j'ai compris à quel point l'art était important pour moi. Et j'ai un ami très cher qui l'ayant rencontrée, après avoir passé un week-end avec nous m'a pris à part et m'a dit « Paolo, maintenant j'ai compris ce que tu me disais quand tu disais que l'art est important pour notre vie » J'ai senti combien j'aimais cet ami mais aussi la puissance de cette amie. Qu'en un week-end, sans parler du sujet Art, sans se pencher sur ce qu'elle faisait, seulement par son attitude, sa façon d'être et se mouvoir, et mettre la table, des choses simples, elle lui avait fait traverser une frontière. De l'indifférence ou inconnaissance vis-à-vis de l'art à la notion qu'il est essentiel à nos vies.
Merci beaucoup.
Merci vraiment.
& à vous tous, bonne soirée, bons spectacles, bon Festival.
Rappel
SoUM édition V se tient, se joue, se danse, se regarde là
du jeudi 2 au samedi 4 novembre 2023 inclus.
Le Regard du Cygne
est sis
210 rue de Belleville
75020 Paris
Métro
L11 : Jourdain, Télégraphe
L7bis : Place des Fêtes (7bis)
Bus 60 – Pixérécourt
Voiture
à 5 mn de la Porte des Lilas
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