top of page

Ciné-club Coréen II, par Alain a.



* Ciné-club Coréen : pages précédentes 2 et 3


Dans la mise en scène de Lee Seong-gu, beaucoup de choses d'ailleurs évoquent Godard. Les titres en français des livres d'art, que la profondeur de champ invite discrètement à déchiffrer, les murs enluminés qui donnent littéralement à lire l'âme et les sentiments de Cheol-hun. Lors du débat, Madame Han nous traduit les quasi-mantras inscrits à côté du dessin d'un appareil photo : Toujours, toujours rester en dehors du sujet / devenir tel un objectif de caméra / J'ai pris des photos de visages de beaucoup de gens. Mais je ne sais pas qui ils sont.


Godard aussi les pans de mur bleu outremer et carmin, Godard encore le filtre rouge sur le dancing illégal, Godard toujours la dispute existentielle entre Shin-hye et Cheol-hun conclue sur une incompatibilité quasi métaphysique… à la façon d'Anna Karina et Jean-Paul Belmondo naufragés de Côte d'Azur, reprochant à l'aimé de ne s'intéresser à rien, convaincus pour leur part de s'intéresser à tout. Sauf que le Tout de l'un n'est plus celui de l'autre. « On vivait comme dans un jeu d'enfant » confiera Shin-hye au détective. Au mur encore une mauvaise reproduction du radeau de la méduse fait écho à cette chambre d'amoureux où l'un s'accroche à rêver un bateau, où l'une s'ennuie à la fin. Si on joint au dossier cette autre note de Cheol-Un :

Je refuse. Je refuse. Je refuse. C'est pourquoi je vis, poème digne du Je préférerais ne pas de Bartleby, on comprendra combien Cheol-hun fut une sorte de Pierrot le fou immobile.

Nous apprenons également que dans le cinéma coréen des années soixante, comme dans le cinéma italien la postsynchronisation est reine. Mais qu'en Corée, la plupart des acteurs de cinéma avaient un "comédien de radio", spécialiste de la voix pour doubleur attitré.

À l’aide de photogrammes Kyung-mi Han nous éclaire maintenant sur la composition des plans, toujours porteuse de sens dans la mise en scène de Lee Seong-gu, notamment dans son usage des contre-plongées et de la profondeur de champ, puis le débat s'oriente vers des questions symboliques pour lesquelles les spectatrices et spectateurs qui osent demander le micro proposent chacun chacune sa propre lecture, à chaque fois différente, un peu ou beaucoup, de celle exprimée juste avant : pourquoi cette cicatrice au front de Cheol-un, pourquoi le ballet récurrent des deux motards, que signifie vraiment l'épilogue… car l'épilogue bien sûr donne à penser ce qui prête à discussion, à confusion peut-être. L'énigme a-t-elle été résolue ? A-t-on vraiment trouvé de quoi, de qui, est mort Cheol-un ? Si la Moustache du Général rejoint la Servante c'est en cela que les deux œuvres s'emparent des atours des films de genre (film noir, d'horreur, policier, mélodrame) qu'elles détournent et retournent contre eux-mêmes afin de dévoiler un en-deçà secret, une question au-delà.

À rencontrer Kyung-mi et à échanger avec elle, à suivre sur Viméo le fil de ses commencements de cinéaste, on saisit très vite que la possibilité concrète de l'échange et de la rencontre, de l'attention mutuelle et de la présence, est chose essentielle à ses yeux, et que c'est là une des importantes raisons de sa décision d'animer un véritable ciné-club. Binger en solitaire une ou des séries de flux aux épisodes le plus souvent étrécis aux demi-mesures de l'écran bleu d'un laptop ou d'un smartphone, n'est en rien comparable à la vision partagée d'un grand film sur grand écran. Et les séries sont rares, me semble-t-il, si talentueuses et addictives soient-elles, à nous regarder quand nous les regardons. La plupart déplient une galerie de personnages fonctionnels qui répéteront le même schéma saison après saison. Peu racontent une histoire, très peu nous disent de nous-mêmes et moins encore du monde, infiniment peu donc nous regardent. Tandis que depuis l'invention du cinéma (qui vit encore), certains films apprennent à voir.



Le Ciné-Club Corée présentera le 22 avril Le Retour de Lee Man-Hee. Censuré pendant plus de 40 ans, présenté pour la première fois au public coréen lors du Festival de Busan 2008, ce sera sa première projection en France.


Et le vendredi 6 mai permettra de (re)voir l'Arche de Chasteté, de Shin Sang-ok, film de 1962 sélectionné à Berlin et à Cannes l'année suivante, qui inaugure la sélection proprement dite des quatre "films évoquant la place de la femme dans la société"… même si on a vu à quel point le thème était transversal. Le point de départ de l'Arche… pourrait d'ailleurs donner l'idée d'une Servante aux personnages inversés. Car cette fois c'est la jeune mariée de la maison, rendue veuve par la mort précoce de son époux, qui s'éprend de son servant, rompt scandaleusement les interdits confucéens de sexe et de classe, et, évidemment, tombe enceinte. Mais si la trajectoire des films diffère absolument, destinée des personnages et regard du réalisateur interrogent là encore la position et l'aliénation féminines. Kyung-mi Han a « choisi ce film, tragique, terrible, pour montrer d'où viennent les Coréennes, montrer la condition des femmes dans les années vingt. C'est tellement invraisemblable ce qu'elles ont dû subir. Entre ce que dépeint l'Arche de Chasteté et Happy End (2006) de Jung Ji-Woo qui, comme son nom l'indique (sourire) clôturera la saison le vendredi 10 juin, l'évolution est réelle. »

Il est acquis que le ciné-club continuera en 2022/2023 et Han Kyung-mi réfléchit d'ores et déjà à sa programmation. C'est une excellente nouvelle.


Ciné-club Corée

4 thèmes

• années 60

• jeunesse

• place des femmes

• romantiques


.prochaines dates

Vendredi 22 avril à 19h

Le Retour Lee Man-hee, 1967

Vendredi 6 mai à 19h

L'arche de chasteté Shin Sang-ok, 1962

Vendredi 20 mai, 19h

Madame Freedom Han Hyoung Mo, 1956


Entrée gratuite pour chaque séance

Centre culturel coréen 20 rue la Boétie 75008 Paris

programmation complète et réservation (fortement conseillée) sur www.coree-culture.org


.films cités

La Servante (Hanyo) de Kim Ki-young, 1960

dvd Carlotta

The Housemaid de Im Sang-soo, 2010

dvd Pretty Pictures/M6Store

La Moustache du Général/Janggun-ui Suyeom

The General's Mustache peut être visionné sur Youtube

grâce au Korean Film Archive sous-titres anglais et italiens


8 courts métrages de Han Kyung-mi sont visibles sur Vimeo

parmi lesquels l'infiniment touchant

Sans prénom conte ce qui sans doute marque la plus intime dépossession qui puisse frapper des êtres, en l'occurrence les Coréennes

& Le Mobile du crime qui ne vous donnera pas la clef de la Moustache…

mais élucide les préférences de l'autrice à travers le témoignage de 4 personnes.


Par ailleurs le15 juin 20h30

à Montigny-le-Bretonneux dans les Yvelines - 78

le cinéma Jacques Brel organise une projection de 4 films de

Han Kyung mi suivie d'un débat.


321 vues0 commentaire
bottom of page