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« Quelle que soit votre religion, le Jikji est un excellent guide vers le bonheur… »


Conférence du Vénérable Beomjong prononcée le 13 avril 2023

au Centre Culturel Coréen de Paris à l'occasion de la première sortie publique du Jijki en 50 ans.

À l’occasion de la première exposition publique du Jikji depuis 50 ans, laquelle fait suite à sa première publication en français dans une traduction de Yannick Bruneton, Directeur d'études titulaire de la chaire de bouddhisme coréen de l'École Pratique des Hautes Études, le Centre Culturel Coréen de Paris et l’ordre Jogye organisent une passionnante conférence autour de l'ouvrage.


Cette conférence, le 13 avril 2023, était organisée dans le cadre de l’exposition Imprimer ! l’Europe de Gutenberg, qui s'est tenue du 12 avril au 16 juillet à la Bibliothèque Nationale François-Mitterand. Là, pour la première fois en un demi-siècle fut présenté le Jikji original (de fait, son second volume, le seul que l'on connaisse à ce jour) aux côtés d’autres trésors retraçant l’histoire et le développement de l’imprimerie en Europe et dans le monde.



Une interview & enquête d'Ônomad

Centre Culturel Coréen, Paris, 13 avril 2023

Le Vénérable Beomjong, Directeur des Affaires sociales et internationales de l’Ordre Jogye du bouddhisme coréen donne une conférence sur le Jikji.

À ses côtés, son interprète, Yannick Bruneton de l'EHESS, traducteur en français du texte.









Le Jikji et le Vénérable Beom-jong

Le Jikji simche yojeol – en abrégé Jikji –, dont la rédaction est attribuée au moine seon Bae-gun, est à ce jour le plus ancien livre au monde dont on est scientifiquement certain qu'il fut imprimé à l’aide de caractères mobiles en métal. Datant de 1377, sous la dynastie Goryeo, il réunit des traits pénétrants « allant droit au cœur de la nature de l'esprit » et était un support pour l'enseignement des disciples.



INTERVIEW

Ônomad : Pourquoi avez-vous commencé votre conférence par un commentaire approfondi du Simu-do, et non par le contenu même du Jikji. Pourquoi avoir expliqué le Simu-do plutôt que le Jikji ?


Vénérable Beomjong : Si j'étais entré d'emblée dans le contenu du Jikji, les auditeurs français ne l'auraient pas bien compris. De tout temps, que ce soit en Asie ou en Occident les images ont soutenu et même devancé la compréhension par les textes. J'ai donc présenté le Jikji au moyen d'images destinées à en faciliter l'accès, notamment au public français de la conférence. Simu-do, la Quête du Bouvier, est une série présentant les dix étapes menant à la découverte de notre vraie nature, au départ errante.

Au terme de cette quête, l'illumination.

La vache sauvage, que le Bouvier peu à peu apprivoise, fait référence à la nature de bouddha que chacun de nous détient d'emblée… sans en être aucunement conscient. Au commencement Simu, 尋牛, le bouvier, est montré errant dans la montagne à la recherche de la vache. Son cheminement est semé d'étapes telles que 見跡, Découvrir les empreintes et les suivre, Gyeonwu 見牛, Trouver la vache et Deukwu, 得牛, Essayer d'apprivoiser la vache.




Ônomad : Entre les innombrables recueils qui existent, en quoi le Jikji est-il l'emblème du bouddhisme coréen Seon ?


Vénérable Beomjong : « Selon l'histoire bouddhique, le Dharma alla en Chine où s'établit alors la lignée chinoise du Chan. Celle-ci fut ensuite transmise en Corée sous le nom de Seon, sous l'autorité des maîtres Seon Jigong et Seon Naong. Maître Jigong eut notamment pour disciple Pae kun, Blanc Nuage, qui vers la fin de sa vie sélectionna les textes qui allaient composer le Jikji. Le Jikji est donc un livre issu directement de la lignée première. A cet égard est secondaire le fait qu'il nous soit parvenu, au moins en partie, dans le plus ancien livre au monde imprimé au moyen de caractères métalliques fondus. Le plus ancien, à ce jour.


Ônomad : Par quelles autres technologies la technique d'impression en métal de l'époque Goryeo a-t-elle été influencée ? Observe-t-on à l'époque quelque impact de l'imprimerie sur la société coréenne ?


« Dans le dernier quart du 14e siècle, la Corée n'était pas plus grande qu'aujourd'hui, et sa population comptait un nombre limité de personnes en mesure d'étudier ou simplement sachant lire. »


Beomjong : « En 1377, cela fait bien des siècles que la Corée connaît l'impression xylographique. Le plus ancien témoignage de cette technique est un sutra bouddhiste appelé Mugujeonggwang Daedaranigyeong (無垢淨光大陀羅尼經) imprimé avant 751 pendant la période unifiée de Silla (57av-935). Ce sutra, qui se présente sous la forme d'un rouleau, a été découvert au temple bouddhiste Seokgatap à Gyeongju. La technologie de gravure sur bois de la dynastie Silla se transmet à la dynastie Goryeo (918 -1392). Lorsque Goryeo fait du bouddhisme la religion d'État, la culture bouddhiste prospère considérablement. Les bois gravés qui nous restent de la période sont principalement des sutras, pour la plupart conservés, et merveilleusement, dans les temples. Telle la collection dite Tripitaka, ou Goryeo Tripitaka, ou des 80 000, conservé au temple Haeinsa à Hapcheon, Gyeongsangnam-do, depuis le 13e siècle : 81 736 blocs recueillant tout le corpus bouddhiste. Il fallut près de 17 ans pour graver ce pieux ensemble, commencé en 1236 et destiné à empêcher l'invasion mongole par le seul pouvoir du Bouddha. L'impression sur bois est donc coûteuse, laborieuse et prend beaucoup de temps. Mais son pire inconvénient est que les bois ne peuvent être réutilisés : chaque planche porte un texte unique, voué à rester inchangé. Les planches sont en outre difficiles à stocker car volumineuses et lourdes, et d'une certaine façon fragiles : conservées de manière incorrecte elles pourraient pourrir, s'user et éclater, ce qui les rendrait inutilisables. C'est ainsi que germa l'idée d'imprimer caractère par caractère. À cette époque, la Corée avait une petite superficie et une population faible, ainsi qu'un nombre limité de personnes se destinant à l'étude ou, tout simplement, sachant lire. L'imprimerie à caractères mobiles métalliques a été inventée sur la base d'un triple besoin (produire plus vite, ne pas avoir à stocker, réutiliser les caractères), des conditions de l'époque et de la technologie traditionnelle déjà maîtrisée. Le développement de la nouvelle technologie d'impression à caractères métalliques rendit possible de réaliser toute une variété de livres sur des sujets nécessaires seulement en petites quantités, ce qui a eu un impact sur la diversité des études et la diffusion de certains savoirs.


Ô : A-t-on scientifiquement reconnu des types métalliques antérieurs à ceux employés pour composer le Jikji ? Pouvez-vous nous expliquer leur différence avec les types métalliques de Gutenberg et nous en présenter quelques principes techniques ?


Beomjong : « Au long des siècles, les Coréens ont expérimenté d'extraordinaires techniques de moulage : soit pour la fabrication d'objets massifs tels que cloches et statues de bronze, soit pour celle de figurines ou pièces de monnaie. C'est par la maîtrise de plus en plus fine de ces techniques de moulage et de coulée que va s'ouvrir le champ d'un mode d'impression typographique proprement dite, et donc : à caractères métalliques. Parmi les ouvrages issus d'une expérimentation aujourd'hui reconnue, il y a le Nammyeongcheonhwa Sangjeungdo dont des recherches récentes ont révélé qu'il a été publié en 1239, 138 ans avant le Jikji. Cet ouvrage, lui conservé en Corée, présente cependant toutes sortes de défauts divers, des marques et des scories déformant l'impression. Ces défauts sont dus aux résidus métalliques générés lors de coulées par fusion pas encore maîtrisées.




« Lorsque des caractères gravés sur un arbre sont estampés sur une plaque plate contenant du sable,

le caractère est gravé sur la surface estampée. versez-la dans le trou,

puis le liquide de cuivre pénètre dans le creux et devient un caractère un par un. »

Il s'agit de la méthode de coulée en sable. Ainsi, au début, la technologie de coulée de type métal faisait défaut.


« Un autre "incunable" coréen récemment étudié, le Mugujeongkwang Daedaranikyeong, présente lui aussi toutes sortes de défauts. Des défauts liés à la coulée et d'autres survenus au moment précis de l'impression. En effet, lors de cette étape cruciale les caractères métalliques moulés, disposés dans le cadre de composition, sont enduits d'encre, puis recouverts de papier. Celui-ci, frotté uniformément se voit de la sorte imprimé. Cependant, il n'était pas si facile de fixer les combinaisons de caractères dans le cadre afin qu'elles ne tremblent pas lors du frottage.


« Dans un premier temps, pour préparer les plaques d'impression, on y coulait de la cire d'abeille sous forme d'huile bouillante extraite de la lie de miel bouillante. Les lettres (types) étaient ensuite insérées à tour de rôle sur la cire chaude. Les règles les portant étaient souvent déformées par la chaleur, des types s'inclinaient, et les imprimeurs trouvaient la technique douloureuse. » Annales du roi Sejong, 1434


« Le roi Sejong a poussé au développement de deux familles de caractères mobiles métalliques. En 1420, le Gyeongjaja, et en 1434, le Gapinja, dont seront frappés plus de 200 000 types. Les défauts d'inclinaison ou de déformation (parce que tel ou tel type avait bougé) lors de l'impression y sont corrigés techniquement par le moyen suivant : désormais, la cire d'abeille fondue est répandue autour des types posés, les fixant lors du refroidissement. Et bientôt la correction des défauts d'alignement se verra encore améliorée par l'usage de tiges-réglettes de bambou…


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1. On grave sur bois l'empreinte de caractères femelles (en creux)

2. On compacte du sable dans les empreintes pour en prendre l'image et en fabriquant un tuyau en fer fondu

3. Placer et fixer le cadre mâle préfabriqué

4. Verser du fer fondu dans l'entrée et refroidir le

5. Lorsque le fer fondu refroidit, retirez le sable durci et retirez le type un par un.

6. Tailler et araser haque caractère retiré





Le regretté Oh Guk-jin, qui sut reconstituer le processus de fabrication des caractères métalliques de l'époque Goryeo en réinventant la méthode de moulage au sable introduite au temple Yongjaechonghwa. Il fut élevé à la dignité coréenne de Bien culturel immatériel numéro 101.


Après sa mort, ce titre de prestige et de reconnaissance fut transmis à son élève, Lim In-Ho, qui par les mêmes procédés traditionnels a entrepris de reconstituer la collection des 30 000 types métalliques ayant permis l'impression du Jikji.

En 2012, après 7 années de labeur, les 5000 premiers caractères étaient prêts. Et le 1er septembre 2016, Lim In-ho présentait les cadres de composition de l'ensemble du premier volume du Jikji. Le résultat de cette splendide impression moderne, pareille à l'original neuf aujourd'hui perdu, est consultable sur le site Jikji global à l'adresse

https://www.globaljikji.org/ebook/jikji/index.html


A ce jour, Lim In-ho a su reconstituer 42 collections historiques de types métalliques coréens.



Le Gapinjabon recréé par Oh Guk-Jin révèle bien la belle allure et la puissance d'écriture de cette typographie : les espaces entre les caractères sont détendus et la surface d'impression est grande et digne. En outre l'encrage noir et brillant rend l'impression plus claire et plus belle. La typographie Gapinja sera le sommet des polices de caractères métalliques coréennes.


Ainsi, dans la Corée du 15e siècle avaient progressé d'une part la création de caractères mobiles – du Jeong Haeja (1407) au Gyeongjaja (1420) puis au Gapinja (1434) –, d'autre part l'impression : allant de deux feuilles recto par jour sous le règne du roi Taejong à 20 feuillets/jour au début du règne de Sejong 1420 et à 40 feuillets dès 1434. »


Types métalliques Gapinja fondus 16 années avant les premiers types Gutenberg


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Enquête


« Les gros caractères (Gapinja) que nous avons frappés sont un trésor. Avec ce trésor, nous voulons imprimer Autonomie générale, Jachi Tonggam et distribuer ce livre dans tout le pays afin qu'il soit facile aux personnes âgées de le lire. »


En chaque mot se lit d'évidence « le cœur compatissant pour le peuple du roi Sejong » qui, en d'autres termes, venait de développer un appareil typographique en gros caractères dans le but que même les personnes âgées ou malvoyantes puissent lire des livres.


Sejong déclara également : « le développement du Gyeongjaja et du Gapinja permettra d'imprimer plus largement les livres en sorte qu'il n'y aura plus personne qui ne puisse apprendre. La culture et l'éducation prospéreront et la moralité du monde augmentera. »

Par ces paroles, il se plaçait dans la lignée de son prédécesseur, le roi Taejong (1400-1418) créateur du type Jujaso, qui avait dit : « La bonne politique est de lire largement des livres et de les diffuser largement. »

Dès ce début du 15e siècle, Taejong et Sejong, rois de l'ère Joseon ont ainsi développé la culture et l'éducation de leur peuple.


Une technologie pourtant artisanale comparée à celle de Gutenberg

En 1434, tandis que le roi Sejong frappe les 200 000 types du Gapinja, il n'existe pas en Occident de documents imprimés au moyen de caractères métalliques. A propos de ce sur quoi travaille Gutenberg, des documents juridiques que l'on ne retrouvera que plus tard mentionnent cependant des termes tels que “presse” et “forme”, et “technologie secrète” et autre “Art & Aventure”. A partir de ces documents, les historiens ont émis l'hypothèse qu'entre 1430 et 1440 le maître de Mayence élaborait secrètement l'imprimerie.


Gutenberg disparaîtra alors 4 ans avant de réapparaître à Mayence en 1448.


Vers 1450 il publie le Donatus, une grammaire latine standard qui témoigne d'une parfaite maîtrise des types métalliques. Et en 1454, 180 exemplaires d'une Bible composée en 42 lignes par page et qui nécessita environ 100 000 types. Le chef-d’œuvre de Gutenberg est en même temps son chant du cygne : la Bible de 1454 est faite à l'image même des Bibles manuscrites. Gutenberg tient à une impression en noir & une couleur (le rouge), pour les rubricae, mais très vite lors de l'impression doit changer ses plans : en sorte que les inserts rouges sont ajoutés à la main. Pour rivaliser avec les Bibles enluminées d'alors, chaque exemplaire acheté se soit également décoré à la main selon le goût et les prescriptions de chaque acheteur. “L'Aventure & Art” est certes un succès esthétique et technologique absolu (tout le tirage est vendu) mais aussi un échec économique, que le partenaire financier de Gutenberg, le banquier Fust, va s'employer à lui faire payer en récupérant le fruit de son travail : la presse à imprimer. Tandis que son premier assistant, lui, se tourne résolument vers ce qui sera l'avenir : des livres dont la composition de pages ne cherchera plus à imiter celle des manuscrits mais trouver une forme inédite. De cette dissension initiale l'imprimerie fera flores. En seulement 50 ans, s'établissent près de 1 000 imprimeries dans 350 villes à travers l'Europe. Et entre-temps, environ 9 millions de livres d'environ 30 000 types sont publiés.

Cette explosion de la diffusion de l'information en Europe rappelle la révolution Internet d'aujourd'hui dans le monde. La révolution typographique née de Gutenberg a mené à la distribution massive de livres mais aussi à la Réforme et à la Révolution scientifique. L'ère du renouveau littéraire suivra.


Les sources de l'invention – ou de la réalisation – de Gutenberg divisent le monde universitaire. Pour certains, Gutenberg aurait été au courant de la technologie Goryeo et s'en serait inspiré, ne serait-ce que pour la méthode de moulage au sable. Pour d'autres, les différences de facto entre Asie et Europe pour ce qui est du papier et de l'encrage, mais surtout l'utilisation de la presse à imprimer par Gutenberg (et non du frottage propre à l'Asie) signent une (re)découverte indépendante. Le secret dont le maître de Mayence a entouré son grand œuvre, sa disparition 4 ans durant après son premier essai infructueux, et le peu de choses assurées concernant sa vie, laissent pour l'instant la question ouverte.

En revanche, il y eut une grande différence entre les deux voies pour ce qui est de leur influence au sein de leur propre société, de leur propre culture, et du monde. Réservées à une production à la fois d'élite et d'usage (même après l'invention asiatique de la typographie, les ouvrages composés en caractères métalliques étaient bien moins prestigieux et prisés que les précieux ouvrages xylographiques), les techniques d'impression Goryeo et Joseon sont restées à la traîne en termes de création et de diffusion des connaissances. Tandis que l'impression métallique à l'occidentale fut une révolution qui a changé le monde.



Les types (= caractères) métalliques Gutenberg sont gravés avec une lame tranchante placée au bout d'un poinçon sur une lame de cuivre souple. La lame gravée est ensuite simplement insérée dans une machine de coulée à main. L'alliage en fusion versé dans la machine de coulée produit le type individuel qui est ensuite méticuleusement poncé et peaufiné avant de servir. Cette méthode permet une production rapide de types parfaitement réguliers.

Source : John Man, Gutenberg type révolution



La technique de moules à sable en usage à Goryeo ne produit pas des types de forme "carrée" : leur placement pour la composition peut être inégal. De plus des grains de sable inclus dans la fonte viennent amoindrir la perfection de l'impression. Le tout est plus artisanal que dans la méthode de Gutenberg.

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