Georges Arsenijevic
Ambassadeur Culturel Coréen… de 37 ans. L'expert, qui travaillait au Centre Culturel Coréen depuis 1986, a pris sa retraite en février 2023.
Par K. Yung, Ônomad
« Je redécouvre le stéréotype compliqué et l’ADN de nos compatriotes. »
nous confie Georges Arsenijevic, auteur de Mes Coréens, 35 années de rencontres et d'amitiés
https://www.onomad.club/post/l-auteur-mes-cor%C3%A9ens-35-ann%C3%A9es-de-rencontres-et-d-amiti%C3%A9s-georges-arsenijevi
La singulière grandeur d'un vrai-frère Hyeongnim.
Bien qu'en février 2023 il ait fini de travailler au Centre culturel Coréen à Paris (CCC) à un emploi qu'il avait pris en 1986, il tenait son poste un jour par semaine en attendant la relève. Ônomad lui a rendu visite afin de capter les derniers moments d'avant un départ effectif courant mars. Avant de travailler au CCC, Georges Arsenijevic n'avait en fait que bien peu connaissance de la culture coréenne. Tombé amoureux des films coréens sitôt qu'il les découvrit, il est devenu aujourd'hui un « maniaque du cinéma coréen ».
(photo) Georges Arsenijevic
avec ses amis en Corée
Ce Serbe d'origine nous servit deux gobelets de rakija, l'alcool roi de son pays, et la conversation qui s'était engagée à bâtons rompus prit un tour d'affection omniprésente et de détente entre deux hommes que la vie fit se croiser en des moments pour chacun très particuliers. Il y a 37 ans, tandis que Georges Arsenijevic était embauché par le CCC, j'atterrissais pour ma part à Charles de Gaulle Airport.
'Hyeongnim' ('frère plus âgé' en coréen), c'est ainsi que je me sentis porté à appeler Georges, de cette appelation empreinte d'affection et de respect que l'on donne en Corée à celui qui n'est pas frère de sang mais frère de cœur, celui dont l'amitié vraie, les paroles spontanés et gestes francs nous protègent et éclairent et que l'on reconnaît pour vrais grands frères sur le chemin de la vie. Et par certains côtés, tandis que ma vie d'exilé à Paris m'a éloigné de mon pays natal, Georges, entre culture serbe et habitus français me semble avoir bien plus que moi l'ADN coréen. À moins que le rituel et la gestuelle du rakija partagé mêle les adn à mesure que les gobelets se succèdent. Une fois le premier vidé, Georges emplit le deuxième. Est-il si étonnant que cela de remplir le troisième avec lui ?
- Rakija, alcool traditionnel serbe -
Évoquant les moments palpitants de trente sept années qui ont passé si vite, Georges me confia :
« Dans les années 1980, quand j'allumais la télé se répétaient deux ou trois fois par semaine des scènes de policiers coréens tabassant des étudiants. Il n'était pas facile de s'ouvrir de la culture coréenne pour des journalistes français qui avaient une image si négative de la Corée. C'était vraiment, vraiment dur. Il était impossible d'imaginer la popularité que prendrait l'Hallyu en France et dans le monde. Aujourd'hui tout a complètement changé ».
Depuis le CCC, Georges Arsenijevic a vu grandir le Festival international de Busan. En 1993, lors de la Rétrospective du film coréen organisée par le Centre Pompidou, Semis du réalisateur Lim Kwon-taek, Dream de Bae Chang-ho et Pong de Lee Doo-yong ont été projetés dans les salles de cinéma parisiennes. « Pendant quatre mois, 85 films ont été projetés et ont attiré près de 35 000 personnes. Le Monde et Telérama ont écrit des articles intitulés. Nous savons maintenant que de grands films coréens existent. Cette rétrospective, je pense, a joué un rôle essentiel dans le changement du regard sur le cinéma coréen en France. »
Conseiller du C.C.C. pendant 37 ans, Georges Arsenijevic aspire à une retraite active : publier un recueil de poèmes plusieurs fois reporté,
composer de la musique et voyager dans toute la France
pour donner des conférences sur la Corée sont ses priorités.
Šljivovica, alcool serbe de prune, Serbie
Ônomad : Comment avez-vous acquis un tel ADN Coréen en vivant à Paris ? Les Français semblent si réservés malgré leur esprit dit latin. Et quels sont vos souhaits pour la retraite ?
Georges Arsenejevic : « Je suis arrivé en France à l’âge de 11 ans, depuis l’ex-Yougoslavie. À mon arrivée, je ne savais que deux mots de français : bonjour et merci. Je crois que je n’ai jamais autant travaillé qu’entre mes onze et quinze ans. J’ai lu des centaines de bouquins, des BD… Je me souviens qu'au début je n'y comprenais rien et puis je suis passé à Maupassant, Zola, j’ai lu et lu et avalé de la littérature française… » a dit Georges lors de l'interview avec YHP news.
« En 1986, alors que j'ai à peine 30 ans ma connaissance de la Corée du Sud est relativement limitée. J'y étais allé tout à fait par hasard en tant que… professeur de français langue étrangère. Là encore, il me fallut tout apprendre ou réapprendre… »
Durant mes 37 années coréennes à Paris, j'ai travaillé avec les onze directeurs successifs du C.C.C. Les Coréens consacrent trop de temps à l'administration au lieu de son perfectionnement de recherche et mon engouement personnel était préoccupé avec une liberté personnelle.
Étant parvenu à maîtriser ce qui fait fossé profond entre deux pays, connaissant parfaitement la conscience professionnelle et la ténacité des Coréens, la primauté du cœur, le « nunchi » qui leur permet de comprendre et d’appréhender l’autre par l’observation et l’écoute, je voudrais tout au long de la dernière étape de ma vie continuer d'assumer à une autre place mon rôle bénévole d'ambassadeur culturel coréen.
Ô : En novembre 2022, alors que j'étais coincé à Podrica, Bosnie-Herzegovine, et qu'il n'y avait aucun transport public le soir, Gajic, jeune entrepreneur de Bratunac à la frontière serbe, m'a spontanément proposé sa voiture sans que je lui dise rien de la difficulté où je me trouvais coincé. En pays serbe ne pas fermer les yeux sur autrui, particulièrement un étranger, lui proposer un coup de main ou de l'accompagner est un geste d'hospitalité naturel. Et tandis qu'arrivés enfin à un hôtel-bar on nous servait de petits verres de Šljivovica, un délicieux alcool de prune local, j'ai ressenti le 'jeong' bien connu de nos compatriotes et me suis mis à douter de la réalité des violences attribuées aux gens de Srebrenica, village voisinant en 1995.
Cette année 1995, Georges était lui à Seoul et comme il le nota dans son livre 'Mes Coréens, 35 ans de rencontres et d'amitié', paru en 2019, les Coréens croisés sur le chemin ont chaque fois fait preuve d'une grande amabilité et de solidarité avec lui. Pour lui, en Corée il y avait toujours quelqu'un.
Dans son livre, à propos du Jeong il écrit : « Dans les rapports interindividuels, le Jeong consiste à se soucier de la sensibilité de l'autre, à ne pas se montrer indifférent à ses problèmes ou contraintes, un peu comme si tous les Coréens étaient une grande famille dont chaque membre a un devoir de solidarité avec les autres. »
Comme sa mère est hospitalisée à Paris, Georges ne peut aller à sa maison normande comme autrement il l'aurait fait. Devoir se rendre si souvent à l'hôpital est certes une difficulté mais il me dit que la piété filiale coréenne lui enseigne la dévotion nécessaire à bien prendre soin de sa maman.
G. A. : « En dépit d'une très rapide industrialisation et urbanisation, la famille coréenne chérit l’esprit confucéen du 'Hyo', la piété filiale envers les parents et ancêtres. »
Ô : Les rites funéraires étaient des cérémonies très importantes dans la société coréenne traditionnelle de la dynastie Joseon. Les rites funéraires confucéens durent 36 mois et comptent 19 procédures. Cette durée de trois ans prend origine dans le fait qu'on n'échappe aux bras de ses parents qu'à l'âge de trois ans. Et le deuil de 3 ans reflète les 3 ans qui suivent la naissance. Les piétés sont en miroir.
G. A. : Pour nous européens, trois ans de rites funéraires est hors de question. Une durée si longue serait inacceptée aussi bien socialement que familialement, les familles modernes cristallisées ont peut-être même oublié la nécessité absolue de respecter le rythme du deuil. Trop long peut-être, mais trois ans de deuil c'est trop beau ! Du moins à mes yeux.
« En Serbie, mon pays d'origine, lors des funérailles cent ou deux-cent membres de la famille au sens le plus large du cercle se réunissent afin de vivre ensemble deux ou trois nuits de deuil. Chacun est accueilli dans les maisons mêmes de la famille, faire loger quelqu'un à l'hôtel serait une insulte. La solidarité familiale s'exprime par l'accueil dans les maisons de cœur, par le partage de la sympathie et de la souffrance. Ces moments de deuil revivifient la communauté que constitue la grande famille, la famille au sens large. »
"Mes Coréens: 35 années de rencontres et d'amitié"
Le jeong, un sentiment très coréen en phase
avec l'esprit bouddhisme (page 153)
Ô : Lorsque je voyage en Serbie et dans les pays des Balkans, l'accueil chaleureux que j'y reçois me fait me sentir comme en Corée. L'hospitalité partout est quasi familiale et surtout je ressens un 'Jeong' similaire à celui partagé par mes compatriotes. D'où vient que la Serbie et les pays balkaniques connaissent cette caractéristique fondamentale propre, dans la conception coréenne, aux êtres humains, ce 'jeong', cette culture affective ici omniprésente et dont les Occidentaux manquent cruellement ?
Les frères Coréens sont déchirés entre Nord et Sud depuis 70 ans.
« La Guerre de Corée de 1950-1953, la partition du pays en conséquence de batailles jamais terminées entre les Alliés des Communistes et les Alliés des Nations-Unies, ont bouleversé la trame généalogique du pays entier, et déchiré brutalement le destin familial de chaque foyer. Le village Deokjae, Jangseong dans la province Jeollanam-do, a été entièrement submergé dans l'eau en 1972 par le projet de développement du *'Barrage Jangseong'.
Parmi nos familles parentales de village Deokjae, Jangseong, un père lui-même, fils aîné d'un grand propriétaire terrien, rencontra le destin idéologique de notre péninsule. Afin d'éviter l'anéantissement de sa grande famille, il accepta d'être pris en otage par l'Armée Rouge du Nord, et… survécut jusqu'au moment où les forces de l'ONU reprirent le contrôle des champs de bataille. Mais au lendemain des combats il fut accusé d'être un traître, accusation fatale qu'il porta pour le reste de sa vie. Toute la famille avec lui, fut faite responsable par "Yeonjoajé", coupable par association, concept qui causa persécutions et sanctions idéologiques familiales durant plusieurs décennies.
Entre Serbes et Balkaniques la souffrance des trop nombreuses « guerres des Balkans », surtout celles récentes des années 1990 de la Yougoslavie, a fait qu'entre pairs de souffrance, d'où qu'elle provienne, naît spontanément un sentiment de sympathie et de compassion ouvrant à la fraternité, solidarité et partage, un 'jeong similaire' à celui des Coréens. Il est certain que les dix millions d'exilés des diasporas ukrainienne et russe, les communistes de Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, les partitionnés du Monténégro, vivront la tragédie des entremêlés déchirés, et les soupçons et les sanctions, pendant des décennies.
*'Barrage Jangseong : Le village Deokjae, Jangseong dans la province Jeollanam-do, a été entièrement submergé dans l'eau en 1972 par le projet de développement du 'Barrage de la ville Jangseong'. Heo Chil-bok, le personnage principal psycho-malade du 'The Sound of the Gong' par le shock de sa maison submergée, roman de Moon Sun-tae, manque sa ville natale, village Deojae et frappe constamment le gong. Les migrants submergés ont été dispersés avant de laisser leurs souvenirs de leurs villes natales par le projet du développement du Barrage Jangseong en 1972.
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G. A. : « Le saviez-vous? On compte près de huit millions de réfugiés Ukrainiens, et si en majorité ils sont allés vers les pays voisins, trois millions quand même ont fui vers la Russie. Les combats dans les régions du Donbass et Louhansk, deux régions comptant une forte minorité russophone, ont engendré un exode massif vers le voisin russe. Tel est chaque fois le bilan réel et tragique des fratries entremêlées de part et d'autre de frontières politiques. J'ai été absolument contre l'indépendance du Montenegro de Serbie en 2003 quand plus de 50 % du peuple monténégrin vit en Serbie…»
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Vers la fin de l'entretien, Georges Arsenijevic a déclaré qu'il voulait donner un conseil au Centre Culturel Coréen, mais que ce serait bien pour le chef du Service coréen de la culture et de l'information, qui gère le CCC.
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