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Bottari : surprise, commerce & contrebande

Bottari : surprise, commerce & contrebande


Dans les années soixante-dix et 80, le ‘Bottari’ désignait à la fois l'assortiment, le colis et la pratique usitée des étudiants coréens qui ramenaient au pays parfums et autres emblèmes du luxe français afin de les vendre avec profit à leurs compatriotes. Ce commerce perdura jusqu'à la loi libéralisant les voyages dans les années 90.

Depuis 2010 le prestige s'inverse.

Les cosmétiques coréens sont le nec plus ultra et on appelle ‘Bottari’ les sets cadeaux de produits de beauté made in Seoul et popularisés par les vagues K-pop ou K-drama. Les infinies possibilités d'achat et vente en ligne amplifient le phénomène.


La mémoire entrepreneuriale des colis ‘Bottari’ est longue.

Au tout début des années soixante-dix, on connaissait l'Ajumma des importateurs Namdaemun qui achetaient et vendaient des marchandises provenant des États-Unis. Nombre de femmes d'affaires s'adonnaient à ce commerce et y gagnaient beaucoup. Elles et ils mobilisaient les Coréens américains pour faire passer en contrebande produits alimentaires (jambon…), médi­caments, produits électroniques… Le made in USA était alors au plus haut. Dans la décennie 90 apparurent les marchands de Bottari, ramenant par bateau produits agricoles et halieutiques chinois. Lors de la crise financière, les chômeurs partis à l'étranger remplissaient au retour leurs valises d'objets à l'unité, si minimes soient-ils, tels que des coupe-ongles. Quand les choses s'arrangèrent, et alors que les produits coréens devenaient populaires en Chine avec la vague Hallyu des années 2000, le marché de gros de vêtements de Dongdaemun devint La Mecque des achats chinois. Depuis lors le trafic décroit : de plus en plus de produits dits coréens sont fabriqués directement par des usines chinoises. Dans l'autre sens, les produits de l'agriculture ou de la pêche chinoise ne rapportent plus grand-chose. Le nombre des ressortissants coréens voyageant vers et depuis la Chine n'a cessé de diminuer, et en fait depuis le Covid-19, les Coréens ne sont pas autorisés à entrer dans le pays. La plupart des ‘Bottari’ marchands coréens encore actifs sont des personnes âgées qui font ce qu'elles faisaient depuis des décennies.


Ce type de commerce en marge des voyages, cycles d'études ou migrations, a toujours existé et existe toujours dans de nombreux pays. En Chine, on l'appelle Tai Gong, et il est le fait de gens plus jeunes, la trentaine en général. Avant le millénaire, alors que les riches touristes chinois se précipitaient à Paris, l'introduction dans le pays de produits français de luxe par des étudiants chinois en France aidait ceux-ci à subvenir aux coûts européens de la vie. Ils récupéraient ainsi leurs frais de voyage et d'hébergement et parfois plus encore…



‘Bottari’, chorégraphie de l'artiste Kim Sun-young


Avec l'effondrement de la dynastie Joseon, les 208 mesures qui mettent fin à la société confucéenne coréenne traditionnelle, et l'annexion de la Corée par le Japon, le bottari est très tôt, et plus ou moins secrètement, devenu le symbole du lourd fardeau national. Il s'est mis à contenir l'histoire même de la tragédie mais aussi un élan absolu, et un devoir, fut-il désespéré, d'indépendance.


Hélas, avec le traité de 1945 le baluchon est comme passé d'une épaule à l'autre, d'une tragédie à l'autre, des envahissements à la déchirure. Fatalement, par la guerre des deux Corées qui pourtant étaient une, le bottari porte une fêlure traversant le pays, et chaque famille, et chaque cœur.

Autre et nouveau fardeau que celui du sort à supporter la survie, que celui de la lutte dans la vie féroce, que celui des départs et de pertes sans retour, que celui d'un carré de tissu qui ne cèle presque rien. Ce presque rien qui reste, ce si peu à manger et qui est lourd fardeau, seuls les Coréennes et Coréens le pressentent, les étrangers ne connaissent pas, eux ne voient que le bagage quand pour nous, c'est une évidence porteuse de racines historiques.

Tous les Coréens, du pays ou de la diaspora, interprètent d'emblée le bottari comme ‘faim nationale et lourd fardeau’. En cela, la trajectoire performance de Kim Sun-young offre aux Coréens de la communauté diasporique de France de relier l'histoire de leur propre vie à la vie de tous dans l'Histoire. Et à tous, de découvrir un genre artistique nouveau, moderne, dansé, médité, qui s'affranchit du plan pictural, et dont le noir et blanc est aussi encre et chair.


Bottari et Bojagi

Bottari est un mot coréen qui désigne un petit colis enveloppé de tissu.

Bo (褓) est un carré de tissu destiné à envelopper ou couvrir des choses. En se méta­morphosant en foulard, large et long d'un bras en général, il devient Bojagi.

On l'emploie aujourd'hui principalement pour emballer un cadeau, ou de la nourriture, ou un couple de canards de bois sculpté garants du bonheur d'un mariage, ou des objets très personnels à l'occasion d'un déménagement, d'un voyage.

C'est un bagage respectueux de l'environnement, car léger et minimal il ne gaspille pas de ressources et est même recyclable. Venu du fond des âges et propice aux temps modernes, utilisé quotidiennement dans toutes les strates de la société, inspirant les stylistes coréens et étrangers - on en a aperçu dans des défilés haute couture, un célèbre designer coréen-américain en a tant vendu en tant que sac à main que sa popularité a crû en flèche –, détourné par des célébrités, récupéré par des entreprises, le bojagi emballe et porte chance. Sous la dynastie Joseon, le mot fortune lui était associé : on était assuré alors envelopper la bonne fortune. En particulier, le SuBo utilisé pour les mariages portait un motif symbolisant des vœux de bonne chance et était vu non comme un simple emballage mais comme l'enveloppe même du cœur. Vieille habitude de l'étiquette coréenne qui traite chacun avec sincérité et chaque chose avec respect, de la plus humble à la plus haute.



L’artiste Kim Soo-ja, assise dans un camion sur une pile de Bottari Truck-Migrateurs 2007

alors qu'elle se déplace de la périphérie du sud-est de la France vers le centre. Elle a parcouru les sites historiques de Paris dans un vieux camion chargé de sacs de tissus et de vieux vêtements récupérés auprès des immigrés en France. Ces vieux vêtements et colis collectés représentent les différentes ethnies et nationalités rencontrées. Son point de départ, la cathédrale Saint-Bernard, c'est là où des immigrés clandestins se sont enchaînés en 1996, un site porteur de l'histoire de résistance des immigrés.


L'appellation « petit commerce de colis Bottari » ne doit pas faire illusion :

car vendre des marchandises en franchise de droits à une autre personne constitue une infraction à la Loi sur les douanes. Faire entrer ces marchandises dans le pays par une personne ou une autre est également un crime de contrebande. En distribuant des produits sans avoir payé aucune taxe, on nuit aux entreprises régulières d'importation et d'exportation. Une personne qui profite de ses voyages entre tel autre pays (la Chine ou le Japon, le Vietnam comme la Russie, la France bien sûr…) et la Corée pour revendre des produits achetés dans des boutiques hors taxes, etc. ou pour apporter des produits de ce pays en Corée, est immédiatement en infraction. Les marchands chinois de Bottari ou Tai Gong de nationalité coréenne partent souvent des ports d'Incheon, Pyeongtaek et Dangjin. Il est dit qu'une forte proportion de revendeurs de sacs voyageant à destination et en provenance du Japon est basée à Busan. Juste avant la pandémie, alors que le nombre d'entrepreneurs en commerce de sacs chinois augmentait, le mot Dai Gong, qui les désigne, a reçu une attention particulière de la part des autorités.


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